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Formes sur transparences

Léo Rosshandler, critique d'art

"(...) "Dans son art, Nadra combine de façon surprenante la matérialité et l’immatérialité. Expliquons-nous. Ses oeuvres, vues dans leur ensemble, s’habillent de prime abord d’un surprenant effet de transparence. Bien sûr, le regard se heurte à une surface, mais il se sent aussitôt sollicité à continuer son chemin. Il lui semble qu’il doit se poser au-delà de la toile. Ce même regard voit cependant son parcours entravé par des points d’arrêt. Des moments de peinture, soit des lignes, des coups de brosse, des effets visuels concrets apparaissent sur ce fond évanescent. Le spectateur est pris au jeu, car Nadra réussit à faire cohabiter sur ses toiles deux données contradictoires. Il est proche d’un des grands thèmes de l’esthétique chinoise, celui qui conjugue le vide et le plein.

 

Nadra nous livre une vraie abstraction. Les formes qu’il nous propose sont sans rapport avec des choses ou des êtres reconnaissables. Elles assument cependant une solide présence matérielle. En se détachant du fond peint et non peint, ce dernier teinté par la couleur de la toile de lin cru, ces formes se muent en objets suspendus sur une apparence de vide. Elles sont le fruit d’un geste pictural chargé d’énergie.

 

Plus on regarde les toiles de Nadra, plus elles prennent une allure saisissante, voire dramatique. Ce que l’on peut appeler ses sujets n’ont pas de limite fixe. Leur pourtour est effrité comme s’il s’arrachait avec grand effort du fond, pourtant immatériel. Leur surface porte les traces de couleurs appliqués par les mouvements convulsifs du pinceau ou du couteau à peindre. Tout paraît fait à coups de blessures. Sans qu’il s’agisse d’un message précis, les tableaux de Nadra rappellent la phrase-titre que Joseph Beuys, le grand artiste anarchiste allemand a donné à l’une de ses expositions : « montre ta blessure » ou plutôt « fais voir ta blessure » (« Zeige Deine Wunde »).

 

Oui, il est de mise de parler d’expressionnisme, d’une gestualité a mi-chemin entre la spontanéité et le calcul. Le peintre nous parle de son for intérieur. L’impression de crudité émanant des couleurs n’est pas due à leur pureté chromatique, mais bien à leur juxtaposition. La rencontre des tons se transforme presqu’en un récit. Nadra sait aussi varier les formats par des dépassements du rectangle habituel de la toile. Ces irrégularités du pourtour mettent en évidence des éléments formels ou coloristiques que l’artiste veut distinguer." (...)"

 

Léo Rosshandler, AICA, Montréal, février 1998.

Extrait du catalogue d'exposition du Château de Chauffailles (71) et de la Galerie HAN Art Contemporain (Montréal)

 

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